Reconstitutions de populations et
analyse sérielle des phénomènes de parenté
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Michaël GASPERONI
Cyril GRANGE
Résumé
Des reconstitutions systématiques de populations européennes aux époques moderne et contemporaine à partir d’une grande variété de sources (registres paroissiaux, actes notariés, cadastres, registres communautaires, archives judiciaires, archives fiscales) a débouché sur l’élaboration de différents corpus généalogiques et bases de données (dots et testaments). Ces corpus, qui peuvent atteindre de très grandes tailles (10 000, 30 000, voire plus de 100 000 individus), nécessitent un traitement informatisé, assuré notamment par le logiciel Puck, développé par Klaus Hamberger (EHESS) dans le cadre du groupe Kintip, financé par l’ANR (2005-2008) et coordonné par Cyril Grange et Michael Houseman (voir notamment Annales de démographie historique : 2008; Hamberger, Houseman et Grange 2009). Ces corpus généalogiques permettent de conduire, sur la longue durée, des études prosopographiques et quantitatives approfondies sur plusieurs populations (trajectoires, reproduction sociale, mobilités, etc.).
Corpus généalogiques et bases de données
1) Les réseaux familiaux de l’élite juive européenne à l’époque contemporaine
Une base de données comprenant aujourd’hui 30 000 individus rassemble les généalogies d’un corpus de dynasties recouvrant les élites économiques juives dans plusieurs capitales ouest-européennes entre le XVIIIe et le XXe siècle. La saisie est en cours pour les villes de Londres, Paris et Vienne. Les sources utilisées sont multiples : généalogies imprimées (Wer einmal war de Georg Gaugusch, The Cousinhood de Chaim Bermant), état civil, site internet (Geni et Ancestry, notamment). Il est prévu d’adjoindre les villes de Berlin, Amsterdam et Milan. Le support de saisie est le logiciel Généatique. Les données sont exportées vers le logiciel Puck pour exploitation. La visualisation des réseaux est effectuée sous Pajek.
2) Populations juives d’Italie centro-septentrionale (1500-1870)
Plusieurs corpus généalogiques et différentes bases de données ont été constitués à partir du début des années 2000 par Michaël Gasperoni au cours de nombreux séjours dans les archives de plusieurs villes d’Italie centrale (2001-2019) et de Mantoue (2014-2019). Trois principaux corpus généalogiques ont été constitués :
- Population du ghetto de Rome (1600-1750), 7 470 individus, 3 061 mariages.
- Population juive des Marches (1500-1870), 9 043 individus, 3 984 mariages.
- Population juive de Mantoue (1700-1914), en cours d’élaboration.
Les corpus généalogiques ont été constitués à partir du dépouillement systématique des archives notariales ou communautaires de différentes localités : Pesaro (1500-1820) ; Urbino (1500-1820) ; Senigallia (1500-1800), San Marino (1450-1677), Ancône (1500-1699), Rimini (1550-1615), Lugo (1650-1720), Sienne (1650-1700). Ces enquêtes, conduites lors des recherches doctorales et postdoctorales et ayant bénéficié du soutien de l’International Institute for Jewish Genealogy and Paul Jacobi Center (2017) ont permis d’élaborer différentes bases de données connectées aux corpus généalogiques. Deux importantes bases de données comportant les dots de femmes juives de Rome (1 600 dots entre 1640 et 1750) et des Marches (1450 dots entre 1540 et 1820) continuent à être alimentées et ont fait l’objet de plusieurs travaux (Gasperoni 2009; 2011a; 2013; 2015; 2018a; 2018b ; 2019). Des bases de données regroupant les testaments juifs romains et marchésans ainsi que les bibliothèques privées de familles juives d’Italie centrale sont actuellement en cours d’élaboration (Gasperoni et Mano 2020).
3) Populations des Légations de Romagne et d’Urbino, « RomUrb » (1450-1900)
La première base de données généalogique conçue en 1999, portait à l’origine sur la petite République de San Marino, située en Italie centrale, à quelques kilomètres de Rimini. En 2008, elle était composée de 21 868 individus et 5 973 mariages. Depuis, l’aire géographique de référence a été étendue aux diocèses voisins du Montefeltro, de Rimini, Cesena et Sarsina, situés dans les anciennes Légations pontificales de Romagne et d’Urbino, ainsi qu’aux élites urbaines et aristocratiques de Pesaro et d’Urbino, qui étaient particulièrement liées à celles de Rimini et de Romagne méridionale. La base a été renommée depuis « RomUrb » et continue d’être alimenté quotidiennement : en février 2020, elle comportait 119 023 individus et 47 729 mariages, répartis sur 24 générations (Barry et Gasperoni 2008; Gasperoni 2009; 2011b; 2013; 2016; 2017). Comme dans beaucoup de bases généalogiques, il existe une certaine asymétrie de genre, tant dans la répartition des individus (67 268 hommes contre 63 720 femmes) que pour ce qui concerne la connaissance généalogique : on connaît en effet mieux les ascendances agnatiques par rapport aux ascendances utérines.
Le corpus a été constitué à partir du dépouillement systématique des archives d’environ 80 paroisses, rurales ou urbaines (baptêmes, confirmations, mariages, sépultures, Status animarum) et des archives notariales de plusieurs localités (San Marino, Rimini, Pesaro, Urbino, Sant’Agata Feltria et San Leo). Le recours systématique aux actes notariés a permis de compléter certaines lacunes des archives paroissiales et d’analyser les comportements économiques et sociaux des familles, la reproduction et la mobilité sociale, les transferts intergénérationnels de biens meubles.
Bibliographie
Annales de démographie historique : Les réseaux de parenté, refonder l’analyse, 2008, vol.2.
BARRY Laurent et GASPERONI Michael, 2008, « L’oubli des origines. Amnésie et information généalogiques en histoire et en ethnologie », Annales de démographie historique, 2008, n° 116, no 2, p. 53‑104.
FORNASIN Alessio et GASPERONI Michaël (eds.), 2019, Dalla fonte al database: per una storia economica e sociale delle popolazioni del passato, San Marino, Centro Sammarinese di Studi Storici.
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GASPERONI Michaël, 2017, « “Fare nobiltà”: le strategie matrimoniali dell’aristocrazia sammarinese », Marca/Marche. Rivista di storia regionale, 2017, no 9, p. 155‑165.
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