Projet ProsoDip

ou

Prosopographia Diplomatica

Alexandre Tessier


Résumé

Le présent projet vise à créer un outil numérique de référence pour tous les travaux d’histoire des relations internationales à l’Époque moderne, afin de le mettre à la disposition des chercheurs aussi bien que du grand public : il entend développer une base de données prosopographique collaborative et disponible en ligne des acteurs de la diplomatie européenne entre 1500 et 1800.


Présentation du projet

Toute notre démarche découle de la prise de conscience d’une lacune historiographique et des sources d’inspiration que peuvent offrir plusieurs réalisations dans des disciplines voisines pour y porter remède.

Il peut sembler paradoxal, à première vue, d’envisager d’approfondir la connaissance du milieu des acteurs des relations internationales de l’Époque moderne, et plusieurs objections s’élèvent d’emblée contre un projet de ce type :

D’abord, d’un point de vue général, L’histoire des relations internationales constitue l’un des champs du savoir historique les plus traditionnels, et partant les plus fouillés. On peut donc s’interroger sur la plus-value réelle qu’apporterait un nouveau répertoire prosopographique spécialisé.

Du reste, plus précisément, concernant les membres des corps diplomatiques européens, il existe déjà d’assez nombreux ouvrages de référence, couvrant tel ou tel pays et telle ou telle période. Parmi les exemples assez récents, on retiendra le répertoire des diplomates espagnols du XVIIIsiècle de Didier Ozanam (Les diplomates espagnols du XVIIIe siècle. Introduction et répertoire biographique (1700-1808), Madrid : Casa de Velásquez, 1999), ou bien celui des diplomates britanniques du XVIe et XVIIe siècles de Gary M. Bell (A Handlist of British Representatives (1509-1688), Londres : Royal Historical Society, 1990),. En outre, ces développements particuliers ne sauraient faire oublier que l’établissement de listes aussi fiables que possible de diplomates actifs au long des siècles passés fut précisément l’une des premières préoccupations du Comité International des Sciences Historiques, dont les efforts aboutirent en 1936 à la publication du premier tome du Repertorium der diplomatischen Vertreter aller Länder seit de Westfälischen Frieden, couvrant l’intervalle 1648-1715 (Dir. Ludwig Bittner et Lothar Gross, Berlin : G. Stelling) Cet ouvrage, aujourd’hui vieilli et malcommode, demeure malgré tout incontournable.

Enfin, C’est un fait que les membres des corps diplomatiques modernes appartenaient généralement aux rangs les plus élevés de la société, et on compta régulièrement parmi eux nombre de figures brillantes ou célèbres, parfois des militaires, de grands seigneurs, des prélats, des magistrats, des écrivains, des savants, des artistes ou grands mécènes. On ne saurait oublier par exemple que Machiavel, Spanheim, Rubens ou Jean-Jacques Rousseau ont assumé des missions de nature diplomatique. Mais ces quelques cas très brillants ne doivent pas laisser penser qu’ils constituent une généralité. Au contraire, il est de bonnes raisons de penser que ces noms restent dans la mémoire collective parce que ceux qui les portaient ne se sont pas illustrés que comme diplomates, tandis qu’à l’inverse, beaucoup de diplomates dont le rôle fut essentiel en leur temps ne laissent qu’une trace furtive dans l’histoire, Qui se souvient par exemple du Président Antoine de Bordeaux, qui représenta la France à Londres à l’époque de Cromwell et de Mazarin ? Lorsque le chercheur a affaire à ce type de protagoniste, il devient beaucoup plus difficile de connaître son origine, les détails de son parcours ou de ses relations, alors que ces informations pourraient être d’une importance cruciale pour comprendre le détail d’événements, de négociations, de positionnements politiques ou de choix personnels. Parfois même on peinera à savoir tout simplement qui occupait quel poste diplomatique à telle date. En outre, il ne faut pas négliger qu’en dehors du corps diplomatique proprement dit, et des représentants officiels, il a toujours existé un « infra-monde », voire un « demi-monde » diplomatique beaucoup plus obscur et foisonnant, peuplé de secrétaires, de conseillers, de favorites, de chapelains intrigants, d’informateurs et d’espions, d’intermédiaires nécessaires, de confidents et autres créatures. Personnalités souvent méconnues mais qui purent assumer un rôle essentiel parfois. En tout cas, sauf exceptions, ces profils variés échappent aux répertoires et listes de diplomates publiés, tels que les travaux cités plus hauts. De même, d’ailleurs, que la plupart des ministres des affaires étrangères et autres agents de l’État qui n’assumaient pas de représentation diplomatique, mais dirigeaient la politique étrangère de la puissance politique qu’ils servaient ou du moins prenaient part à sa conduite, ès qualités ou de facto.

Ainsi, malgré les études nombreuses et les figures brillantes qu’on croise çà et là, le milieu des acteurs des relations internationales modernes demeure-t-il très mal connu dans le détail, Et comme il n’existe pas d’outil de référence spécialisé pour se renseigner sur tel ou tel individu rencontré au hasard des sources dépouillées, l’historien en sera souvent réduit à se référer aux dictionnaires biographiques les plus généraux pour retrouver qui pouvait bien être le signataire de tel ou tel rapport dont il ne possède malheureusement que le nom, ou même une signature illisible au terme de quelques pages chiffrées, quand en désespoir de cause il ne « googlelisera » pas l’individu cherché  ! Dans des cas extrêmes mais non rares en ce qui concerne « l’infra-monde » diplomatique évoqué plus haut, , il pourra se révéler bien plus difficile d’identifier avec précision l’un des multiples espions à la solde de l’Angleterre opérant en Hollande au cours du XVIIe siècle qu’un obscur scribe de l’Égypte du Second siècle avant J.-C. La raison en est que les historiens de l’Égypte lagide ont tout loisir de recourir à une base de données remarquablement fournie et pratique, la Prosopographia Ptolemaica (https://www.trismegistos.org/ref/), qui recense 367 469 individus attestés en Égypte gréco-romaine et byzantine, de 800 avant notre ère à 800 après notre ère, en 55 776 lieux différents, le tout avec le détail des mentions de leurs noms existantes et les références aux sources correspondantes. Ainsi il devient plus facile de se référer dans un second temps aux reproductions ou transcriptions de ces sources et d’identifier avec certitude, au besoin par les caractéristiques mêmes de son écriture, tel scribe cherché, quand bien même sa signature sur l’ostracon qu’on étudie serait à moitié effacée. De même, on peut aujourd’hui assez aisément identifier un magistrat romain subalterne du IIIe siècle avant J.-C., tel qu’un duovir aquæ conducendæ, ou un triumvir capitalis grâce à la Digital Prosopography of the Roman Republic (http://romanrepublic.ac.uk/), et plus aisément encore reconstituer le parcours d’un Communard du XIXe siècle ou même  obtenir la liste de tous les anarchistes connus comme actifs en Alsace du temps de l’Empire allemand, entre 1870 et 1914, au moyen du « Maitron en ligne », autrement ditdu Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social (http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/). Par contraste, sans connaissance extensive préalables du terrain étudié ni consultation de multiples ouvrages, le détail du parcours d’un membre du Secret du roi sous Louis XV ne peut être connu facilement tout comme on ne peut vite reconstituer la liste de tous les agents diplomatiques présents simultanément dans une cour donnée de l’Europe à une date donnée de l’Époque moderne, quelles que soient les couronnes que ceux-ci servaient. Voilà quelques types de questions auxquelles à terme devrait pouvoir répondre la base de données prosopographique qu’on envisage de créer ici, qui offrira un large éventail d’utilisations possibles, allant du simple besoin de vérification ponctuelle au développement d’études sociologiques larges.

Allégorie de Hugo Grotius et de la paix de Westphalie. (Wikipedia Common)
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