Programme « Epistolaire politique »
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Bruno DUMÉZIL
&
Laurent VISSIÈRE
Présentation du projet
Malgré toute sa richesse, la dimension politique de l’épistolaire au Moyen Age reste un terrain historiographique peu défriché, et il en va d’ailleurs de même avec l’ensemble du champ épistolaire. Le constat, à vrai dire, n’est pas neuf : en 1976, Giles Constable déplorait déjà que « l’étude sérieuse des lettres et des collections de lettres en tant que type de source historique est l’une des branches les moins développées de l’historiographie médiévale ». Le genre épistolaire intéresse en revanche, et depuis longtemps, les historiens des autres périodes, notamment de l’Antiquité et de la période moderne , ainsi que les spécialistes de la littérature, toutes périodes confondues.
On ne dispose, pour le Moyen Age, d’aucune vue d’ensemble du genre épistolaire, ce qui n’empêche pas, bien entendu, des études ponctuelles, des éditions de texte et des initiatives tout à fait stimulantes. Des travaux novateurs ont ainsi concerné l’Ars dictaminis en Italie. Des corpus documentaires ont suscité également une réflexion nouvelle : c’est en particulier le cas des recueils de lettres du Haut Moyen Age occidental , et, à l’autre extrémité de la période, des fonds de correspondances diplomatiques liés aux premières Guerres d’Italie.
Les usages mêmes de la lettre ont été réévaluées, qu’elle soit outil de réflexion philosophico-politique ou de combat. Ce regain d’intérêt pour l’épistolaire, très sensible, se marque par une série de récents programmes européens, comme « Les correspondances en Italie », lancé par Paolo Cammarosano et l’École française de Rome ou l’ANR-DFG « Epistola, La lettre en péninsule Ibérique et dans l’Occident latin : héritages et transformations d’un genre littéraire (IVe-XIe siècles) », initiée par Thomas Deswarte et Klaus Herbers.
Entamé dans le cadre de l’IUF, le présent programme entend initier une réflexion générale sur les rapports de la lettre et du politique à travers l’ensemble du Moyen Age. Une question dont tout historien saisit l’importance, mais qui n’a guère été l’objet d’études soutenues. Le genre de « l’épistolaire politique » fait partie de ces objets qui semblent parfaitement connus, mais dont on s’avère bien en mal d’offrir une définition précise.
Qu’est-ce qu’une lettre politique ? Qu’est-ce qui la différencie d’un autre type de document épistolaire ? Et revêt-elle d’ailleurs une forme immuable ? Ces interrogations appellent plusieurs remarques. D’emblée, il faut reconnaître que l’épistolaire est un genre mouvant et protéiforme, qui regroupe aussi bien des textes littéraires à portée philosophique ou littéraire —en un mot des lettres d’art—, des actes administratifs ou de gouvernement, qui portent différents noms —lettres patentes, lettres closes, lettres de par le roi…—, et enfin des écrits à caractère plus ou moins privé que deux personnes s’échangent pour s’informer, demander des conseils, donner des ordres, ou simplement garder le contact.
Dans un cadre politique, la forme épistolaire permet de gérer les contacts et les oppositions, mais surtout de les mettre en mots, et donc de les mettre en forme ou de les remettre en mémoire. Parce qu’elle est lieu d’écriture du « je », parce qu’elle relève de ce qu’Yves Coirault appelle l’« egographie » , la lettre est le lieu du conflit scriptural. Elle constitue un espace en tension entre plusieurs personnes ; mais aussi car elle est ce champ clos où le destinateur s’approprie le destinataire, et parce qu’elle est cette « absence de la présence et présence de l’absence » (Alcuin) , où les mots échappent désormais à leur auteur et se trouvent du même coup susceptibles d’un relecture biaisée et potentiellement conflictuelle.
Le présent programme vise à explorer tous les champs de l’épistolographie politique, sur une large période médiévale allant des dictatores romano-barbares aux correspondances royales du Moyen Âge tardif.
Premières publications
Épistolaire politique I : Gouverner par les lettres, dir. Laurent Vissière et Bruno Dumézil, Paris, PUPS, 2014.
Épistolaire politique II : Authentiques et autographes, dir. Bruno Dumézil et Laurent Vissière, Paris, PUPS, 2016.
Épistolaire politique III : Art de la lettre et lettre d’art, dir. Paolo Cammarosano, Bruno Dumézil, Stéphane Gioanni, Laurent Vissière, Trieste- Rome, CERM-Ecole Française de Rome, 2016.18.
Lettres et réseaux (Épistolaire politique IV), en coll. avec L. Vissière, M. Candido da Silva et N. Barros, dans Le Moyen Âge (2020/2), sous presse.
Lettres et conflits (Épistolaire politique V), en coll. Avec Rafael Peinado (Grenade) et Th. Deswarte (Angers), Casa de Veslaquez, à paraître.