Pour une histoire impériale
des colonies françaises

XVIe-XIXe siècle

François-Joseph RUGGIU


Résumés

Les différentes colonies qui ont composé l’empire français du début du XVIIe siècle jusqu’à la conquête de l’Algérie font depuis longtemps l’objet de travaux nombreux et de qualité. Il en va différemment de l’histoire impériale, comprise comme une histoire des colonies prises dans leur ensemble et étudiées dans leurs relations avec la métropole et avec l’État monarchique. La croissance des territoires ultramarins colonisés par les Français de l’époque moderne se conjugue, en effet, avec la transformation de la forme et du rôle de l’État central dans le royaume de France. C’est au cours de ce double processus que sont apparues les structures de gouvernement national et local des espaces ultramarins, qu’ont été installés les agents qui les ont administrés, qu’ont été constituées des théories sur le rôle des colonies pour la France, et qu’a été pensée la relation entre les colonies et la métropole.

Or, le processus de formation politique, c’est-à-dire à la fois institutionnelle, politique, économique, juridique ou administrative, de l’empire colonial de l’époque moderne a souvent été étudié du point de vue des espaces concernés et de leurs élites, mais a rarement été observé à partir du cœur politique du réseau étatique et à propos des colonies prises dans leur ensemble, ce à quoi ce projet se consacre, tout en prenant également en compte les effets retours des colonies vers la métropole.

The various colonies that made up the French empire from the early 17th century until the conquest of Algeria have long been the subject of numerous and excellent works. This is not the case with imperial history, understood as the history of the colonies taken as a whole and studied in their relations with the metropolis and with the monarchical state. The growth of the overseas territories colonised by the French in early modern times was parallel to the transformation of the form and role of the central state in the kingdom of France. It was during this twofold process that the structures of national and local government in the overseas territories appeared, that the agents who administered them were nominated, that theories on the role of the colonies for France were formed, and that the relationship between the colonies and the metropolis was thought out.

The process of political, constitutional, political, economic, legal or administrative formation of the colonial empire of the modern era has often been studied from the point of view of the colonies and their elites. It has rarely been observed from the centre of the State and in relation to the colonies as a whole, which is what this project is devoted to. A specific attention will also be given to the influences of the colonies on the development and on the transformations of the mother country.


Présentation du projet

Le renouvellement de l’intérêt scientifique pour l’histoire des empires coloniaux, très sensible depuis le milieu des années 2000, est né en lien avec, et en réaction à, l’essor de l’histoire globale et de l’histoire atlantique. En 2007, l’historien néo-zélandais de l’Empire britannique, Trevor Burnard, posait ainsi, dans une revue de la littérature récente, une question abrupte : Empire matters? Dans les années qui ont suivi, les historiens lui ont répondu positivement en prenant un véritable « imperial turn » compris comme la nécessaire prise en compte d’une dimension impériale dans les études des mondes modernes et contemporains, en particulier de l’histoire de l’État.

Depuis les années 1990, les historiens se sont mis, en effet, à interroger la notion même d’État-nation et l’idée selon laquelle cette forme « moderne » de l’État, dont la France apparaît comme un prototype, aurait été appelée à être adoptée, plus ou moins lentement, par les autres peuples de l’Europe au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Un article fondateur de John H. Elliott a rappelé, en 1992, que la configuration politique dans laquelle vivait la plupart des Européens de l’époque moderne était, en fait, la monarchie composite, c’est-à-dire une addition de territoires unis sous un même souverain mais dont les systèmes politiques et juridiques, les religions, les langues et les cultures pouvaient être différents.

Les comparaisons entre les vastes constructions politiques européennes – Union de Kalmaar ; possessions des rois d’Espagne ; îles Britanniques ; États patrimoniaux des Habsbourg, puis empire austro-hongrois ; ou encore empire russe et empire ottoman – et les empires proprement coloniaux des grandes puissances occidentales ont alors commencé à fleurir. Le livre de Jane Burbank et Frederick Cooper, Empires. De la Chine ancienne à nos jours – dont le titre anglais porte un programme bien plus explicite : Empire in World History. Power and the Politics of Difference – illustre parfaitement la tendance actuelle chez les historiens à interroger les frontières entre les empires continentaux multiethniques et les empires coloniaux. Ce mouvement met l’accent, d’une part, sur la gestion des différences entre les populations au sein d’une même entité politique et, d’autre part, sur les conséquences de la diversité des territoires et des peuples sur l’organisation et l’évolution du pouvoir central.

L’histoire impériale des colonies françaises que nous proposons commence au début du XVIe siècle, lorsque la Couronne a commencé à patronner les entreprises privées de marins et de marchands dans le nord de l’Atlantique, avant de soutenir les premiers établissements qui ont réussi se maintenir à partir des années 1600. Elle sera menée jusqu’à la fin des années 1840 lorsque la conception de l’empire qu’avaient construite les autorités françaises au cours de la période moderne, s’est trouvée définitivement transformée par la conquête de l’Algérie et par l’abolition définitive de l’esclavage.

Ces deux évènements marquent, en effet, la fin de l’empire colonial commercial, tel qu’il avait été mis en place par Colbert dans les années 1660 et 1670, lorsque la monarchie a accentué son contrôle sur les territoires ultramarins, en particulier au Canada et aux Antilles, ainsi que sur les compagnies à monopole qui géraient les relations commerciales de la France avec l’Amérique et avec l’Océan Indien. Cet empire, qui avait failli changer de nature dans la première moitié du XVIIIe siècle, avait été ramené à sa fonction première après les désastres de la guerre de Sept Ans et était resté tel malgré les critiques qui lui ont été adressées et quels qu’aient été les efforts pour l’abolir sous la Révolution.

Le second pari de cette recherche est d’englober dans une étude commune et transversale l’ensemble des établissements ultramarins de la France, c’est-à-dire aussi bien les colonies américaines que les comptoirs africains ou indiens, où la relation entre les Français (ou les Européens) et les pouvoirs autochtones n’a pas été, pendant longtemps, de nature coloniale, ou encore les points d’appui constitués dans le Pacifique dans la première moitié du XIXe siècle. Il ne s’agit pas, naturellement, d’en juxtaposer l’histoire mais bien de comprendre comment ces établissements, leurs activités, leur peuplement, leur développement, ont pu prendre sens aux yeux des autorités centrales en lien avec les agents de l’empire, les élites de ces différents territoires, l’opinion publique métropolitaine et naturellement les peuples colonisés. L’étude des tentatives, surtout dans les premiers siècles du processus, et des échecs est pour nous aussi important que l’étude des implantations qui ont, relativement, « réussis ». L’article « Des nouvelles France aux colonies – Une approche comparée de l’histoire impériale de la France de l’époque moderne », récemment publié dans Nuevo Mundo Mundos Nuevos, expose une partie des bases de travail de ce projet.

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