Les « grands enfants »
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Isabelle ROBIN
&
François-Joseph RUGGIU
Résumé
Le Centre Roland Mousnier a ouvert une enquête sur les « grands garçons » et les « grandes filles », des expressions présentes dans le vocabulaire des Français de l’Ancien Régime, mais dont le sens et la portée n’ont pas été, jusqu’à présent, pleinement mis en lumière. Lancée au milieu des années 2010, elle associe étroitement les chercheurs, en particulier Isabelle Robin et François-Joseph Ruggiu, et des étudiants de master. Dans une historiographie qui s’est surtout focalisée sur les premiers âges de l’enfance, ou sur des évènements clefs du cycle de vie comme la mise en apprentissage ou le mariage, les recherches sur les « grands enfants » entendent reconstituer le tissu ordinaire et quotidien des relations entre les parents et les enfants en voie de devenir grands, c’est-à-dire entre une douzaine d’années et l’âge de la majorité.
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The Roland Mousnier Centre has opened an scientific enquiry on the « grands garçons » and « grandes filles », expressions present in the common French vocabulary during the Ancien Régime, but whose meaning and significance has not, until now, been fully brought to light. Launched in mid-2010, it closely associates researchers, in particular Isabelle Robin and François-Joseph Ruggiu, and MA’s students. Amidst a historiography, that has mainly focused on the early years of childhood, or on key events in the life cycle, such as apprenticeship or marriage, research on the “grands enfants” aims to reconstruct the ordinary and daily fabric of relations between parents and children in the process of growing up, i.e. between the age of around twelve and the age of majority.
Présentation du projet
L’histoire de la famille en France et dans le monde occidental a considérablement évolué durant les trente dernières années. Longtemps centrée sur la cellule familiale, composée par le père, la mère et les enfants co-résidents, elle a su élargir ses perspectives pour envisager les relations familiales entre les membres plus éloignés de la famille (les grands-parents ; les oncles et tantes ; les parents spirituels…), entre non-corésidents ou encore au sein de la parenté. Ce mouvement très fructueux a permis de reconsidérer le rôle de la famille au sein des sociétés préindustrielles et de l’industrialisation naissante.
L’historiographie ancienne ou récente n’a cependant pas épuisé les questions des relations entre le mari et l’épouse ou entre les parents et les enfants, qui ont longtemps constitué le cœur de l’histoire de la famille et nous proposons de revenir sur les relations établies entre les parents et les enfants une fois ces derniers sortis de l’enfance.
Alors que partout, dans l’Europe actuelle, l’évolution de la vie moderne, en particulier liée aux effets de la crise économique de la fin des années 2000, semble retarder l’âge du départ des enfants du foyer parental, la question de la présence, ou non, prolongée de ces mêmes grands enfants, chez, ou auprès de leurs parents, n’appelle, en effet, aucune réponse évidente en ce qui concerne les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Les perspectives qui semblent se dessiner pour eux se résument souvent à la sortie du domicile parental pour se placer au service ou en apprentissage ou bien à y demeurer dans une position subordonnée. Cette recherche souhaite donc approfondir la réflexion sur ce groupe des enfants devenus grands et leur place à la fois dans la famille et dans les communautés locales.
Elle s’appuie sur l’existence, dans le vocabulaire du temps, de l’expression de « grands garçons » et de « grandes filles » qui renvoie le plus souvent à des personnes sorties de l’enfance proprement dite, vers 12 ou 13 ans, jusqu’à la majorité ou au mariage, aux alentours de 25 ans. L’analyse des relations ordinaires entre les parents et les enfants devenus grands peut être appuyée sur une vaste gamme de sources : les recensements ; la reconstitution des familles faite à partir des registres paroissiaux ; les écrits personnels qu’ils soient immédiats comme les diaires ou rétrospectifs comme les autobiographies ou les mémoires ; les sources prescriptives, en particulier les textes religieux ou les ouvrages moraux, et qui abondent en conseils et recommandations surtout à destination des parents et dont la réception doit être envisagée avec précaution ; les sources judiciaires qui livrent souvent des fragments de vie des personnes concernées. Cette recherche s’inscrit, bien sûr, dans une réflexion historique classique sur les âges ou les seuils de la vie, ou sur l’existence même de l’adolescence à l’âge préindustriel.
Elle prend en compte également les problématiques déjà bien travaillées de l’organisation économique de la cellule familiale ou la question de l’encadrement de ces enfants en voie de devenir grands, en particulier les garçons, par la famille et les autorités civiles ou religieuses. Nous souhaitons ajouter une dimension supplémentaire liée à la manière dont cette période permet de développer les capacités des enfants ainsi que de favoriser leur autonomisation.