Le mode de fonctionnement des familles
dans les mondes coloniaux


Vincent GOURDON
&
François-Joseph RUGGIU


Résumé

L’histoire des mondes coloniaux de l’époque moderne s’est considérablement développée ces dernières années dans le sillage de l’essor de l’histoire atlantique, puis du renouveau de l’histoire impériale, et l’étude des populations et des familles en situation coloniale s’est naturellement inscrite dans ce mouvement. Servie par des sources relativement abondantes et de natures très variées, les chercheurs et les chercheuses s’intéressent à des problématiques générales, comme la coexistence de différentes formes familiales, les normes instituées par les Etats et les Eglises, ou le rôle de la parenté spirituelle, ou bien spécifiques à la situation coloniale, tels que la place des liens matrimoniaux, les relations intrafamiliales par-delà les océans ou encore le métissage. Les terrains étudiés sont les colonies d’Amérique du Nord et de la Caraïbe mais aussi des Mascareignes, de l’Inde, et d’Afrique, du Sénégal à l’Algérie dans les premières décennies de la présence française.

The history of the early modern colonial worlds has considerably grown in recent years in the wake of the rise of Atlantic history and the revival of imperial history. The study of populations and families in colonial situations has naturally been part of this movement. Supported by relatively abundant and varied sources, researchers are interested in general issues such as the coexistence of different family forms, the norms established by States and Churches or the role of spiritual kinship. They also study specific issues related to the colonial situation, such as the place of matrimonial ties, the intra-family relations across oceans, or the métissage. The areas studied are the colonies of North America and the Caribbean, but also the Mascarene Islands, India, and Africa, from Senegal to Algeria during the early decades of the French rule.

Extrait carte postale d'Alger

Présentation du projet

L’étude de la famille, ou plutôt des nombreuses configurations familiales, en situation coloniale connait, depuis plusieurs années, une dynamique ascendante à l’échelle mondiale, comme l’ont montré le dossier de 2013 de William and Mary Quarterly ou encore les deux dossiers des Annales de Démographie Historique en 2011 et en 2019. Un nombre croissant de spécialistes des empires coloniaux des époques moderne et contemporaine a, en effet, intégré progressivement à ses analyses l’importance du fait familial dans la formation et l’expansion des colonies européennes. Inversement, les chercheurs en histoire des populations, ou de la famille, spécialisés sur l’Europe, sont de plus en plus attirés par l’originalité des questionnements posés par la situation coloniale ou par le contexte impérial.

Dans les espaces coloniaux, le chevauchement de croyances, de systèmes juridiques et de pratiques sociales entrainait, en effet, des interactions d’une incroyable complexité entre les individus, les familles et les sociétés globales. Elles dépassent les oppositions trop simples entre les formes familiales des colons et celles des colonisés ou, même entre celles des Européens, celles des autochtones et celles des populations déplacées, en particulier les Africains réduits en esclavage aux Amériques. Et elles ont été d’autant plus complexes qu’elles se sont produites, en particulier aux Amériques mais aussi en Asie, dans un contexte de racialisation croissante des relations sociales entre les différentes populations.

Les sources disponibles sont très abondantes dès lors que l’adaptation de l’institution familiale européenne est très précocement apparue comme un enjeu de l’établissement de sociétés coloniales plus ou moins stables à l’époque moderne. Les chercheurs et les chercheuses ont donc généralement accès, sous réserve des pertes et des destructions, aux archives des institutions mises en place par les Européens, comme les recensements, les testaments, les registres paroissiaux ou les registres d’état-civil, ainsi qu’à un vaste ensemble de sources administratives ou privées. L’important corpus des descriptions, des ouvrages savants ou des récits de voyage qui ont été nombreux sur ces régions du monde peut aussi être mobilisé.

Ces documents livrent cependant difficilement l’accès aux pratiques de certaines des familles en situation coloniale, en particulier celles des groupes subordonnés, qu’il faut reconstruire à partir d’éléments indirects. L’étude de groupes spécifiques de populations, l’analyse de thématiques générales (comme les différentes formes d’intermariage ou de métissage ou les relations intrafamiliales dans l’espace transatlantique) ou bien le suivi de trajectoires individuelles et familiales sont cependant possibles et bénéficient d’une historiographie en voie de développement à l’échelle mondiale.

Cette réflexion doit, en effet, être menée par rapport à une échelle globale pour mettre en valeur les similitudes les plus frappantes mais aussi comprendre les différences dans l’approche des familles dans l’espace colonial et l’enquête que nous souhaitons mener, qui s’intéresse donc potentiellement à toutes les régions du monde colonial européen du XVIe siècle au XIXe siècle. Nous nous concentrons cependant, au sein de nos recherches, sur les colonies de l’empire français, en particulier sur Saint-Domingue au XVIIIe siècle, ou encore sur l’Algérie durant le siècle qui a suivi sa conquête.

Premières publications

Vincent Gourdon, François-Joseph Ruggiu (dir.), “Familles en situation coloniale”, numéro spécial des Annales de Démographie Historique, 2011, 2.

Vincent Gourdon, François-Joseph Ruggiu (dir.), “Mariages coloniaux. Unions et liens familiaux dans les empires européens, XVIIIe-XXe siècles”, numéro spécial des Annales de Démographie Historique, 2018, 1.

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