Édition en traduction française de
L’Histoire du connétable Dom Nuno Álvares Pereira
(v. 1360 – 1431).


Romain Telliez

Résumés

Cette Histoire en langue gallego-portugaise, à la fois biographie héroïque et prototype des chroniques nationales du royaume de Portugal dont elle accompagne la naissance, est aussi célèbre au Portugal qu’à peu près inconnue dans l’historiographie française. Ses qualités littéraires en même temps que sa richesse en tant que source d’histoire en font pourtant l’équivalent de la Chanson de Bertrand du Guesclin par Cuvelier, ou du Livre des faits de Jean le Meingre dit Boucicaut, à peu près contemporains, avec lesquels elle mérite d’être comparée, pour nous limiter à des exemples franças. Nuno Álvares Pereyra est à la fois un criminel politique sans scrupule, un preux parmi les preux, un modèle de morale et de piété mais aussi d’efficacité militaire, un pilier de l’État monarchique naissant, un croisé au siège de Ceuta, et pour finir un moine et chef d’ordre religieux.

This History in the Gallego-Portuguese language, both a heroic biography and a prototype for the national chronicles of the Kingdom of Portugal, whose birth it accompanies, is as famous in Portugal as it is almots unknown in French historiography. However, its literary qualities at the same time as its richness as a source of history make it the equivalent of Cuvelier’s Chanson de Bertrand du Guesclin, or the Livre des faits de Jean le Meingre dit Boucicaut, both of which were roughly contemporaries, and with which it deserves to be compared, to limit ourselves to french examples. Nuno Álvares Pereyra is at once an unscrupulous political criminal, a brave among the braves, a model of morality and piety but also of military efficiency, a pillar of the emerging monarchical state, a crusader at the siege of Ceuta, and ultimately a monk and head of a religious order.


Présentation du projet

Fernão Lopes, le premier grand historiographe en langue portugaise, dont le récit de l’avènement de la dynastie d’Avis constitue le premier grand « mythe » fondateur de l’histoire nationale, accorde une importance singulière à un personnage qui semble pourtant n’avoir joué das l’histoire qu’un rôle de second plan : le connétable Nuno Álvares Pereira (1360-1431). La gloire de cette figure repose sur une œuvre anonyme, la Chronique du Connétable, à laquelle Fernão Lopes emprunte des passages entiers et bien des faits de détail qui ne semblent documentés que par ce texte. Pourtant, il ne reste de cette chronique originale aucun témoin manuscrit : elle n’est connue de la postérité que grâce à son édition princeps, imprimée à Lisbonne en 1526, dont la gravure du frontispice est devenue célèbre. Le texte en est relativement bref (65 fol.) et l’on ignore tout de sa présentation originale, des circonstances de sa rédaction tout comme de son auteur, même si de nombreuses conjectures ont été émises par les historiens.

Il s’agit d’une biographie héroïque, souvent à la limite de l’hagiographie, faisant du connétable Nuno Álvares le modèle du portugais exemplaire, sous ses différents rapports intrinsèquement mêlés : politique, militaire, chevaleresque, moral, religieux, et bien sûr national puisqu’il est le pilier de la nouvelle dynastie. Chaste comme un héros arthurien, le connétable est à la fois le rempart de la foi et le secours des pauvres, donnant presque à l’armée les caractères d’un ordre religieux-militaire, avant de finir sa carrière sous l’armure du croisé et sa vie sous l’habit des frères Carmes. Son exemple est le support d’un message politique très clair : à l’instar du connétable, toute la noblesse doit se soumettre de sa propre volonté au roi (dom João), dans lequel elle ne peut manquer de reconnaître le parangon de ses propres qualités. Cette noblesse nouvelle, celle des « vrais Portugais », n’est pas l’aristocratie traditionnelle qui avait jusque-là plutôt soutenu le roi de Castille, mais la noblesse moyenne quelque peu dépourvue de terres, dont le connétable était issu et qui donna aux Portugais la victoire à Trancoso, Atoleiros (1384) et Aljubarrota (1385). Il y a pourtant loin de la légende du connétable à la réalité, comme en témoignent les arrangements manifestes de l’auteur avec les faits vraisemblables, ainsi que la dégradation certaine des relations entre le roi et le connétable à la fin de sa longue vie.

La Chronique du Connétable est peu connue des historiens non lusophones. La figure de Nuno Álvares Pereira résonne pourtant singulièrement avec celle de quasi-homologues, en tout cas de contemporains, comme Bertrand du Guesclin ou le maréchal Boucicaut, dont la « fabrique de la renommée », pour reprendre l’expression de Bernard Guenée, a été tout aussi soigneusement construite. Nous proposons ici une présentation et une traduction en français de cette chronique.

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