Divorces et séparations en France :
Révolution-XXe siècle


Vincent GOURDON
&
Sandra BRÉE


Résumé

Face à une historiographie du divorce largement focalisée sur les aléas juridico-politiques de son instauration, notre projet propose de construire une histoire sociale des couples divorcés ou séparés de la Révolution à la Troisième République. A partir de terrains locaux judicieusement choisis, il s’agit d’établir des corpus de couples ayant expérimenté ces ruptures légales, en mêlant sources d’état civil et archives judiciaires.

Les premières fournissent des données démographiques et sociales sur les conjoints amenés à divorcer ou à se séparer, à comparer avec celles des autres couples. Les archives judiciaires, en particulier les jugements de divorce, permettent de repérer les conjoints demandeurs de la séparation, de saisir les motivations des époux et les arguments utilisés pour obtenir (ou refuser) la rupture. Ces sources autorisent aussi l’analyse des décisions finales des autorités judiciaires et l’étude des situations de chaque conjoint séparé ou divorcé, notamment vis-à-vis de la garde d’enfants. L’enquête est complétée par le recueil des données statistiques agrégées fournies par les institutions statistiques de l’époque. Enfin, le projet se propose de suivre le parcours de vie des anciens conjoints de couples divorcés ou séparés, puis de leurs enfants, grâce aux archives d’état civil ou aux recensements.

Un premier pan de l’enquête est formé par l’étude des divorcés d’Ivry et Noisy-le-Sec, deux communes de banlieue parisienne, entre 1880 et la Première Guerre mondiale.

Usually the historiography of the establishment of divorce is approached through a legal and political lens. Instead, our project proposes to build a social history of divorced or separated couples from the Revolution to the Third Republic. Starting from judiciously chosen local sites, the aim is to establish a corpus of couples who experienced these legal ruptures, by mixing sources of civil status and legal archives.

The former provides demographic and social data on divorcing and separating spouses, to be compared with those of other couples. Court records, particularly divorce judgements, make it possible to identify separating spouses, to understand the motives of the spouses and the arguments used to obtain (or refuse) the break-up. These sources also make it possible to analyse the final decisions of the judicial authorities and to study the situation of each separated or divorced spouse, particularly with regard to child custody. The survey is supplemented by the collection of aggregate statistical data provided by the statistical institutions at the time. Finally, the project proposes to follow the life course of each of the divorced or separated couples, and of their children, through civil status records or censuses.

A first part of the survey is formed by the study of divorced people from Ivry and Noisy-le-Sec, two Parisian suburban municipalities, between 1880 and the First World War.


Présentation du projet

La loi du 20-25 septembre 1792 a autorisé l’institution du divorce en France ; aboli en 1816, ce dernier est revenu définitivement dans le droit français sous la Troisième République, grâce à la loi Naquet de 1884. Sous l’Ancien Régime puis pendant la phase d’abolition du divorce au XIXe siècle, les couples pouvaient toutefois faire le choix de rompre partiellement leur union par le biais de la procédure de séparation, qui a été maintenue après 1884.

L’étude historique des ruptures d’unions conjugales en France depuis la Révolution française s’est jusqu’à maintenant concentrée soit sur les aspects politico-juridiques de la reconnaissance du divorce, soit sur les évolutions les plus contemporaines des pratiques (après 1945), du fait de l’ampleur prise par la divortialité à partir des années 1960, qui paraissait ruiner l’ensemble des logiques de formation et de fonctionnement du couple en vigueur dans les décennies voire les siècles précédents.

Notre projet se propose de déplacer la focale en menant une enquête au long cours sur l’histoire sociale des couples divorcés et séparés sous la Révolution, puis sous la Troisième République. Il s’agira en particulier de pointer des terrains locaux judicieusement choisis et de construire des corpus de couples ayant eu recours à une rupture légale, en mêlant sources d’état civil et archives judiciaires.

Les premières fournissent des données démographiques et sociales sur les conjoints amenés à divorcer ou à se séparer dans leurs parcours de vie ; elles autorisent une comparaison (notamment par le biais d’analyses économétriques) avec des corpus de couples n’ayant sollicité ni l’une ni l’autre de ces formes légales de ruptures d’union.

Les archives judiciaires, en particulier les actes et décisions des procès de divorce, permettent, quant à elles, de repérer les conjoints demandeurs de la séparation (et donc leurs caractéristiques spécifiques), de saisir plus en détail et en profondeur les motivations des époux et les arguments et la rhétorique utilisés pour obtenir (ou refuser) la rupture. Ces sources autorisent aussi l’analyse des décisions finales des autorités judiciaires et l’étude des situations de chaque conjoint séparé ou divorcé, notamment vis-à-vis de la garde d’enfants. Cette double approche, centrée sur la période 1792-1815 puis sur les divorcés de la Troisième République, permet d’observer la manière dont les innovations législatives ont été appréhendées par les hommes et les femmes.

D’autres analyses sont menées à partir des données statistiques agrégées fournies par les institutions statistiques de la période, qu’il s’agisse des données démographiques fournies par la Statistique Générale de la France ou les services de la ville de Paris, ou encore des données statistiques issues des Ministères (par exemple, celui de la Justice).

Enfin, dans un troisième mouvement, l’enquête se propose de suivre le parcours de vie des anciens conjoints de couples divorcés ou séparés, en recourant par exemple aux archives d’état civil ou aux recensements pour établir un suivi longitudinal des individus concernés. Cette approche est élargie à leurs enfants : jusqu’à quel point le divorce parental influence-t-il, sous la Révolution comme sous la Troisième République, le destin des enfants de parents divorcés ?

Pour l’heure, un premier terrain a été sélectionné pour la construction d’un vaste corpus de divorcés. Il s’agit de deux communes de la banlieue parisienne : Ivry-sur-Seine et Noisy-le-Sec. Les centaines de couples mariés entre 1880 et 1912 dans ces deux communes, et signalés (en marge de leurs actes de mariage) comme ayant divorcé par la suite, ont tous été relevés. Des échantillons parallèles de couples non-divorcés ont été constitués pour comparaison. Le dépouillement de la documentation judiciaire correspondant à ces couples est en cours. Les premiers résultats sur les grandes caractéristiques des futurs divorcés banlieusards ont été présentés lors du colloque international “Divorcer autrefois ? La séparation matrimoniale du Moyen Âge au XXe siècle. Mondes européens et extra-européens”, organisé par la Société de Démographie Historique, le Centre Roland Mousnier et le LARHRA, Lyon, 27-29 novembre 2019.

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