L’invention de l’État autoritaire


Thierry Dutour

Résumés

Le livre (à paraître en 2025) L’invention de l’État autoritaire (France, XIIe-XVe s.) s’attachera au fait que là où nous voyons la progressive prise en mains du royaume de France par un État central aux prétentions de plus en plus autoritaires, assimilée à la construction de la France, il y eut une rupture dans la façon dont les Français ont pensé le pouvoir, si profonde qu’on peut l’appeler une révolution culturelle, et le fait qu’une France succéda à une autre. L’ouvrage soulignera qu’il est nécessaire de nous libérer d’une fascination pour l’autorité du roi de France qui confine au fétichisme dans notre historiographie. Ainsi l’État tel qu’il était conçu au temps de la monarchie consensuelle apparaîtra comme un État différent concrétisant une conception elle-même différente du pouvoir et de la communauté politique et la longue coexistence dans la pratique de conceptions opposées dans le principe sera mise en valeur.

The book (to be published in 2025) L’invention de l’État autoritaire (France, XIIe-XVe s.) will focus on the fact that where we see the gradual takeover of the kingdom of France by a central state with increasingly authoritarian pretensions, equated with the construction of France, there was a rupture in the way the French thought of power, so profound that it can be called a cultural revolution, and the fact that one France succeeded another. The book stresses the need to free ourselves from a fascination with the authority of the French king that borders on fetishism in our historiography. The State as it was conceived at the time of the consensual monarchy will thus appear as a different State, embodying a different conception of power and political community, and the long coexistence in practice of conceptions opposed in principle will be highlighted.


Présentation du projet

Aux XIIe-XVe siècles la nation, comprise au sens actuel, n’existe pas, la nationalité non plus. Le français n’est parlé comme langue maternelle que dans les régions septentrionales du royaume et les contemporains y sont indifférents car l’allégeance politique et la langue qu’on parle sont sans rapport. Le royaume est un conglomérat de pouvoirs publics aux prérogatives très larges, royauté, principautés, seigneuries, pouvoirs municipaux. L’approche de l’État par les gouvernés est avant tout fonctionnelle, en somme utilitaire : il remplit des fonctions jugées utiles, dont l’État royal, c’est-à-dire l’État central, n’a pas le monopole. Le royaume de France est très peu centralisé et son organisation interne est proche de celle des États fédéraux du monde actuel. Cet État pluriel est avant tout un État consensuel. Un État différent de celui dont la figure nous est familière a donc existé dans une France autrement conçue. Entre cet avant si lointain et l’après que nous connaissons, la différence est telle qu’on peut parler de rupture. Nous ne nous en soucions guère car nous cherchons dans le passé la permanence d’une identité malgré le changement.

Oublions cette chimère et constatons qu’aux XIIe-XVe siècles se rencontrent deux conceptions de l’État. L’une, consensuelle, est traditionnelle. Elle conçoit le lien entre gouvernés et gouvernant comme contractuel, marqué par la réciprocité des obligations et la nécessité de la consultation et du consentement. L’autre, autoritaire, fonde ce lien sur la reconnaissance d’un devoir d’obéir et les idées qui la soutiennent justifient une monarchie absolue. La seconde se fait place peu à peu et constitue une nouveauté quand elle s’introduit dans les pratiques de gouvernement. La tentation est grande de voir en celle-ci l’origine d’un avenir qui conduit à notre présent et d’y consacrer l’essentiel de l’attention. Cela conduit à oublier que les contemporains y ont surtout vu mépris du droit et oppression.

Le rappeler permet de souligner que l’État tel qu’il était conçu au temps de la monarchie consensuelle n’était absent ou faible mais était un État différent concrétisant une conception elle-même différente du pouvoir et de la communauté politique.

Cela permet aussi de mettre en valeur le fait que des conceptions dans le principe opposées ont longtemps coexisté. En soi, c’est banal. En revanche, leur coexistence multiséculaire dans la pratique politique est tout sauf insignifiante. Comment s’associaient-elles et avec quelles conséquences ? Leur combinaison suppose une compréhension partagée, un corps de valeurs communes au-delà de l’opposition des idées, une capacité à découvrir par l’improvisation ce qui est suffisamment fonctionnel, tantôt plus, tantôt moins, pour perdurer. La spécificité de ce temps est là et il faut la restituer. Elle permet de comprendre l’extraordinaire fécondité de son héritage dans les siècles postérieurs. Les XIIe-XVe siècles ont en effet laissé un legs de débats, d’écrits, de convictions sur la nature et les fins du pouvoir et sur ses limites, sur la justification de l’inégalité entre les hommes, sur des conceptions contradictoires de l’identité française (la France est-elle une idée ou une continuité historique et géographique dans l’obéissance à la dynastie qui l’incarne ?), sur des mots dont le sens a changé et ne va plus de soi – État bien sûr mais aussi souveraineté, loi, droit, liberté, français même, d’autres encore.

Retour en haut